Demande d’élaboration d’un plan de décarbonation pour le laboratoire

En 2019, une demande a été transmise à la future direction de l’Institut Néel d’élaborer un plan de décarbonation du laboratoire permettant de réduire de -10% par an nos émissions de gaz à effet de serre.

Cette demande s’appuie sur une double consultation de personnels de l’Institut Néel : l’une par le collectif et l’autre par le représentant des non-permanents.

version pdf : en français et en anglais

CI-DESSOUS LE TEXTE EN FRANÇAIS DE CET APPEL

Réduction de l’empreinte environnementale de l’Institut Néel

Grenoble, le 19 octobre 2020

Depuis la fin des années 1970, des spécialistes de l’atmosphère alertent sur l’évolution du climat[i]. Leur message, étayé depuis 1990 par les rapports du GIEC, est simple. L’augmentation de nos émissions de gaz à effet de serre (GES), si elle n’est pas rapidement jugulée, aura des effets désastreux sur les conditions de vie sur la terre et dans les océans avant la fin du siècle[ii].

Figure 1 Evolution de la température moyenne à la surface de la terre depuis 20 siècles (référence: moyenne de l’aire pré-industrielle, source Wikipedia « climate change »)

L’emballement climatique actuel est souvent caractérisé par le réchauffement moyen à la surface de la terre (voir figure 1) mais ses manifestations sont bien plus diverses. Sous nos latitudes, il est souvent associé à un renforcement en intensité et en fréquence d’épisodes météo extrêmes[iii] (canicule, tornade, inondations, méga-feux, tempête de neige…).

Parmi ses conséquences, les perturbations climatiques planétaires sont trop rapides pour permettre à de nombreux écosystèmes de s’adapter[iv]. Au-delà de la fragilisation des biotopes sur lesquels les économies humaines reposent (agriculture, foresterie, élevage, pêcherie, filtration des eaux, …), une telle pression climatique accélère la 6ème extinction de masse.

Depuis le sommet de la terre de Rio (1992), la France s’est engagée à de multiples reprises à réduire son empreinte climatique, dans le cadre d’accord internationaux, européens et de multiples lois et décrets[v]. Par exemple, la Loi dite énergie-climat du 8 novembre 2019 appelle à la neutralité carbone à l’horizon 2050, soit un équilibre entre émission de GES d’origine humaine et retrait de l’atmosphère par l’homme.

Malheureusement, malgré moultes déclarations, la France persiste à ne pas respecter ses propres engagements. Ainsi[vi], le Haut Conseil pour le Climat, organisme public indépendant, note dans son rapport annuel 2020 que « Les actions climatiques de la France ne sont pas à la hauteur des enjeux ni des objectifs qu’elle s’est donnés », renouvelant ainsi un constat sévère de 2018 du Conseil économique, social et environnemental[vii].

Figure 2 Recensement des déclarations d’urgence climatique par des entités publiques en France et chez nos voisins (Source : www.cedamia.org/ le 25/9/2020)

A l’échelle locale, les collectivités et institutions, y compris dans le milieu académique, montrent rarement l’exemple. Par exemple, en comparaison avec la plupart de nos voisins européens, peu ont décrété « l’urgence climatique » comme l’illustre le recensement du collectif Cedamia (voir figure 2). Quand c’est le cas, cela se limite souvent à une politique incitative aux « petits gestes » et la publication de reporting environnemental ou bilan d’émissions de Gaz à Effet de Serre, qui sont deux approches n’affectant que peu les trajectoires d’émission sans la mise en place d’un plan d’action[viii]

Fig. 3 « Pensez-vous que l’urgence climatique exige des changements profonds dans la pratique de nos métiers ? ». Réponses brutes et provisoires à l’enquête de Labos1point5 auprès d’un échantillon aléatoire de membres du milieu académique français

Pourtant, l’expérience récente de la « convention citoyenne pour le climat » montre qu’un échantillon représentatif de la population, une fois informé de la situation, préconise majoritairement des mesures fortes et parfois audacieuses. Dans le milieu académique, les résultats préliminaires de deux enquêtes récentes menées par les collectifs RogueESR[ix] et Labos1point5 (voir figure 3) révèlent aussi une forte demande par les personnels d’une modification de nos pratiques professionnelles (respectivement 84% et 89% des réponses).

Les membres de la future Direction du laboratoire ont connaissance de l’acuité du défi climatique, de la « non-soutenabilité » de nos pratiques et de notre responsabilité collective à prendre des mesures à la hauteur des enjeux.

Nous demandons à la future direction de réduire les émissions de gaz à effet de serre du laboratoire de 34 % durant son mandat 2021-2024, soit 10% de réduction annuelle par rapport à l’année précédente, en cohérence avec l’objectif national [x].


Le périmètre des activités prises en compte est celui de l’outil GES1.5 du collectif Labos1point5, dont l’usage pour établir le bilan annuel des laboratoires est encouragé par le CNRS. Il inclut en particulier missions, déplacements domicile-travail et énergies.

Pour atteindre cet objectif, nous invitons la future Direction à élaborer un « plan réduction de notre empreinte environnementale », en concertation avec le personnel et suscitant sa large adhésion. Ce plan inclura objectifs, moyens alloués, méthodologie, indicateurs quantitatifs et actions envisagées.


Les émissions et pollutions indirectes et importées seront aussi considérées dans ce plan: énergie grise des équipements, consommables, consommation numérique, ressources non renouvelables, transport…

Des membres du collectif labo-en-transition ont compilé des listes de propositions concrètes, incluant les obligations réglementaires, des mesures adoptées dans d’autres laboratoires et des pistes identifiées lors de réflexions menées dans les collectifs labo-en-transition, campusdapres-grenoble.org et labos1point5. Nous serons bien entendu heureux de les présenter à la future Direction et travailler avec elle à cet objectif de réduction.

RESULTAT DE LA CONSULTATION :
Les membres de l’Institut Néel du collectif labo-en-transition:      88% d’avis favorables [xi]
Les non-permanents de l’Institut Néel :                                           88% d’avis favorables [xii]
[xiii]


[i] Pour une histoire des alertes lancées depuis les années 1970 et des opérations de désinformation organisées depuis les années 1980 par l’industrie pétrolière, voir par exemple : Perdre la terre, Nathaniel Rich 2019.

[ii] GIEC, 2014 « changements climatiques 2014 – Incidences, adaptation, et vulnérabilité »

[iii] GIEC 2018 « Chap. 3 of Managing the Risks of Extreme Events and Disasters to Advance Climate Change Adaptation. A Special Report of Working Groups I and II of the Intergovernmental Panel on Climate Change.« 

[iv] Beaumont et al. (2011). Impacts of climate change on the world’s most exceptional ecoregions. PNAS, 108(6), 2306–2311 ;  Deutsch et al. (2008). Impacts of climate warming on terrestrial ectotherms across latitude. PNAS, 105(18), 6668–6672. ; Where does biodiversity go from here? A grim business-as-usual forecast and a hopeful portfolio of partial solutions, Ehrlich et al., PNAS August 12, 2008 105 (Supplement 1) 11579-11586

[v] Voir par ex. Tuddenham et Robert « Politique et réglementation » rapport Secten du Citepa (2020), p35-72.

[vi] D’après l‘inventaire national Secten du CITEPA, les émissions de GES en France n’ont décru que de 1% par an en moyenne entre 2015 et 2018. Pour des exemples de non-respect de ses propres engagements par l’état, voir par exemple le « mémoire complémentaire » du 20 mai 2019 et « l’argumentaire du mémoire en réplique du 3 septembre 2020 » du recours lancé par l’Affaire du Siècle contre l’Etat pour inaction climatique.

[vii] « …la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte du 17 août 2015. Un texte aux objectifs très ambitieux, mais dont l’application, près de trois ans après sa promulgation, souffre de retards dans tous les domaines. » Avis rendu du Conseil économique, social et environnemental, le mercredi 28/2/2018.

[viii] Faire sa part ? Pouvoir et responsabilité des individus, des entreprises et de l’état face à l’urgence climatique, Dugast et Soyeux, 2019, Rapport de Carbone 4

[ix] Sondage collectif RogueESR  « Il en ressort que 84% des [2500] répondants pensent que la crise écologique et climatique doit entraîner une modification des pratiques scientifiques ; 76% pensent que les pratiques actuelles induisent des déplacements trop nombreux et 81% estiment que la réduction de l’empreinte carbone des activités scientifiques doit devenir une priorité dans l’établissement des politiques universitaires et de recherche. »

[x] Objectif 2030 Pour limiter à +1.5°C le réchauffement moyen en 2100, le GIEC estime nécessaire une réduction nette des émissions planétaire de 45% d’ici 2030 (par rapport à 2010, cf SR15 Ch2 2018, page 95). Ce chiffrage a été décliné en un objectif de -50% à -60% d’ici 2030 dans nos sociétés occidentales, tant à l’échelle locale (par ex. 50% dans le plan Air-Energie-Climat de la métropole grenobloise) qu’à l’échelle européenne (60% voté par le Parlement européen en octobre 2020 pour la loi «loi européenne sur le climat »).Retenons donc l’objectif national de -50%.Cet objectif national doit être modulé en fonction des secteurs activités. Par exemple, à l’horizon 2050, la Stratégie Nationale Bas Carbone planifie une réduction des émissions d’un facteur 2 dans l’agriculture, d’un facteur 9 dans l’industrie manufacturière et d’un facteur 20 dans le secteur résidentiel-tertiaire-commercial-institutionnel (Rapport d’inventaire Secten CITEPA 2020, p.57). Le secteur de la recherche relevant de cette dernière catégorie, il est donc appelé à fournir un effort plus important que les deux autres, indépendamment de toutes considération d’exemplarité que l’on peut légitimement attendre des scientifiques sur ces questions.Nous retenons comme objectif de réduction dans la Recherche le chiffre de -60% d’ici 2030. Échéancier Réduire nos émissions deviendra de plus en plus difficile au fil des années, les marges de manœuvre s’amenuisant une fois que les premières actions auront été mise en œuvre. Supposer un facteur de réduction moindre de 1/3 pendant les 4 dernières années, ou de 2/3 pendant les 2 dernières années revient à concentrer la réduction sur un peu moins de 9 années au lieu de 10. Bilan On aboutit ainsi à l’objectif annuel de réduction d’émission de GES de 10%, soit 34% de réduction durant la mandature 2021-2024. Alternativement, on aboutit au même objectif de la réduction (10%/an) en répartissant uniformément la contraction d’un facteur 20 demandé à notre secteur d’activité d’ici 2050.

[xi] Consultation anonyme menée durant la semaine #42 (2020) auprès des membres du collectif labo-en-transition rattachés à l’Institut Néel et n’appartenant pas à la future direction. 57 votants (50 oui, 3 non et 4 sans avis)

[xii] Consultation anonyme menée durant la semaine #42 (2020) auprès des membres non-permanents de l’Institut Néel. 42 votants (37 oui, 4 non et 1 sans avis).

[xiii] Le rédacteur de ce document (Philippe-e R.) remercie chaleureusement la trentaine de relecteurs, et tout particulierement Olivier G-L, Bernard H., Eric W., Jean-Christian A.., Odile B., Laurent S., Xavier B., Franck D., Florence M., Maurine M. et Guillaume M.